mardi 10 mars 2009

Mélion, chevalier-loup (I)

À la cour d’Arthur, un vœu…



Antan, et bien avant,
en ce temps-là temps anciens,
jadis quand et quand à la cour du roi
Arthur,
Arthur et ses chevaliers,
la reine, Guenièvre, dames et jeunes filles,
en ces temps lointains où Arthur régnait,
lui qui fut si généreux envers ses chevaliers,
au plus beau temps de la cour du roi,
la jeunesse qui en exaltait la vie,
fêtes, ardeur, prouesses : Lancelot,
Gauvain, Perceval, Yvain, Sagramor, Mélion –
nobles et beaux !

Un jour
de fête et de liesse, jour de tournoi,
palefrois, jongleurs, hennins aux rubans de soie,
les chevaliers firent l’un après l’autre vœu de toutes sortes,
de biens, de choses, de bien des choses.
Vint le tour de Mélion,
dont le vœu les surprit tous
et toutes !...
Mélion fit vœu publiquement
de n’aimer jamais
jeune fille, si noble et belle fût-elle,
qui aurait aimé un homme avant lui
ou même seulement évoqué le nom
d’un homme…



Le vœu de Mélion

« Aimer ? Aimer…
Un jour, aimer
mais n’aimer que
choisir d’aimer
faire vœu de
n’aimer jamais que
jeune fille
je ne me fie
à – jamais, oh jamais
aimerai-je
j’aimerais
aimer jeune fille
mais jeune fille qui
ne l’aimer que si
belle et si noble fût-elle
je ne me lie
chevalier Mélion
que ne me lie-je
si belle et noble fût-elle
n’aimerai jeune fille que
l’aimer qui
et seulement si
jeune fille qui
et celle-là seule
n’aura jamais aimé
un homme 
avant moi
ni même
prononcé le nom
d’un homme… »



Mais
comment ?
C’était là le vœu de Mélion ?

Oh ce vœu
étrange, présomptueuse
intransigeance, tant d’absolu
que lui sert-il d’exiger cela ?
Arrogance, inconscience ? Comment Mélion peut-il espérer
l’amour d’une, celle-là seule, qui…
Mettre une telle condition à l’amour –
les dames se concertent : elles ne lui adresseront plus la parole ;
les chevaliers le pressent de s’expliquer
de se dédire – les mots n’ont-ils pas outrepassé ses pensées ?
Mélion ne sait que dire, il refuse d’en rabattre
tout vœu ne se pourrait excessif, outrancier ? Et même inatteignable ?
les autres ne l’entendent pas ainsi, on le bat froid…
Courtois n’est point ce vœu.
Autour de lui, un fossé silencieux, on ne lui parle pas,
on cesse de parler quand il paraît ;
depuis ce jour, sa vie à la cour d’Arthur est triste et cruelle :
la plupart des dames, certains chevaliers même, lui opposent un mépris ostensible.
Certes il n’imaginait pas
que ce vœu lui vaudrait tant d’inimitié…
L’eût-il imaginé
l’eût-il imaginé que
peut-être
mais…





Mélion
ne cherche pas à reprendre la parole
prend part de moins en moins aux festins
ne participe plus aux tournois
paraît de loin en loin à la cour
s’enferme dans une solitude blessée
accoutume son âme à la douleur
se joint seulement aux chasses du roi
s’assombrit
se tait
souffre…
L’hostilité des jeunes filles ne faiblit pas,
elles sont cent au service de la reine,
cent qui jurent de ne jamais aimer Mélion.
On décide en chœur d’éviter son regard,
cent jeunes filles ne lui disent plus un mot.

Le roi qui ne cesse pas d’apprécier Mélion, s’émeut de sa tristesse,
le fait venir, et s’entretient avec lui…
« Mélion que se passe-t-il ? Pourquoi fuis-tu la Cour ?
Pourquoi t’enfermes-tu dans le silence ?
Tu connais mon estime pour toi, pour ta bravoure,
Ta peine m’attriste, j’aspire à Mélion fier et allant…
Retire-toi de la cour pendant quelques temps,
rejoins mon château qui est face à la mer d’Irlande,
il est entouré de forêts comme tu les aimes…
Si tu y retrouves la joie de vivre, je te le donne
et viendrai y chasser avec toi.
Je ne doute pas que ta valeur et ton courage
s’y épanouissent bien mieux qu’à ma cour –
crois-moi, c’est une contrée parfaite
pour recouvrer force et sérénité. »

Mélion, touché de tant de sollicitude, hâte son départ ;
maints serviteurs et écuyers l’accompagnent.
Arthur avait dit vrai, la contrée semble
faite pour Mélion : la couleur de la terre,
la profondeur des forêts, l’odeur subtilement
de mer et de fougères, les tendres tapis
de bruyères et de mousses, la faune parfumée
chassée et finement préparée au château
dans les chaudes cuisines du château
bruissantes aussi des flots vivants de la mer,
toute proche Irlande aussi.
Certes le roi s’était montré généreux :
la vie ne manquait pas de saveur par ici !


.../...

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