jeudi 12 mars 2009

Mélion, chevalier-loup (II)

Dans la forêt, rencontres…



Un jour,
jour de chasse, Mélion,
la forêt, les chevaux, la meute impatiente,
les veneurs et les écuyers,
aboiements, hennissements, sabots qui piaffent,
quand un grand cerf se fit prendre !
Un très grand cerf, beau et fier,
que Mélion fait relâcher sans hésiter.
Entre le chevalier et l’animal,
certaine chose impalpable et vraie,
un échange de regards, museau qui hume
la main tendue, le gant retiré,
une déférence réciproque, manifeste.
Passée la surprise de ces quelques instants,
le souffle d’une reconnaissance intime
entre deux ennemis qui s’admirent,
l’altier animal bondit hors d’atteinte
et rejoint les profondeurs de la forêt.

Un peu plus loin…
Une clairière, la lumière fume, bruyères,
on fait halte, on évoque encore le grand cerf
qu’un cheval surgit de la forêt turquoise,
et la jeune fille qui le chevauche…
Oh l’apparition nimbée dans la clairière
– qui s’avance sur le beau palefroi ?
Une jeune fille ! Une jeune fille seule ?!
Que fait-elle dans la forêt ? Qui est-elle ?
Elle est richement vêtue, d’hermine et de soie
se dirige, si gracieuse assurance, vers Mélion.
Stupéfaite, la meute tout entière cesse d’aboyer
écuyers, lévriers, chevaux, la forêt
même, retiennent leur respiration…
Mélion avance vers elle, elle est belle, elle sourit
ses yeux sont ceux d’une biche
ses lèvres semblent frottées de miel et de framboise.
« Belle, dit-il, je vous salue,
je suis Mélion, seigneur de ce domaine.
Vous êtes-vous égarée dans la forêt ?
Avez-vous chevauché longtemps ?
Accepterez-vous l’hospitalité
de mon château, la sollicitude
de mes serviteurs, toute l’attention
que j’aimerais tant vous témoigner… »
« Seigneur Mélion, quelle joie, quel bonheur
de vous entendre, de vous saluer,
de vous rencontrer ! »
Sa voix était aussi belle que ses yeux
« Mélion, je viens d’Irlande, je suis venue pour vous ! »





Que dit-elle ?
Entend-il ce qu’elle dit ?
Que dit-elle ? Mélion rêve et ne rêve pas
la belle est belle et là devant lui
l’incarnat de ses joues, la soie de sa parure
le timbre de sa voix, le fruit de ses lèvres
vivent – elle parle, il parvient à l’écouter
elle est venue jusqu’à lui, guidée par son vœu
dont le bruit traversa la mer jusqu’à la cour
d’Irlande, ce vœu qu’elle entend bien
qui lui vaut l’inimitié des autres
toutes les autres femmes qui le battent froid
elle seule l’aime et le comprend
ce vœu, elle l’entend bien, elle le lui dit
elle n’a jamais aimé un homme, ni même
évoqué le nom d’un autre homme que le sien
Mélion, dès qu’elle a ouï parler de son vœu
de sa disgrâce auprès des dames que ce vœu
blesse, mais qu’elle, entend bien
et même rien qu’à l’ouïr s’en réjouit
désormais entend bien l’aimer, tendrement
s’étendre bien jour après jour s’aimer entendre
dire et bien s’entendre sur cette condition
elle n’a jamais aimé homme, jamais aimé
un autre homme que lui, Mélion
ni même évoqué le nom d’un homme !

Tant de bonheurs à l’unisson, Mélion
plus vif que jamais, passionnément ému,
serre la belle dans ses bras, l’enlace et l’embrasse
et l’embrasse et l’enlace et la serre de plus belle,
et elle rit de tant de fougueux empressements,
et son rire cristallin achève de surprendre Mélion
et la meute et les écuyers stupéfaits subjugués !
Dieu que la pucelle est belle et leur seigneur bien
heureux homme !
Le mariage est promptement célébré.
Arthur et sa cour viennent aux noces magnifiques
de chants et danses, branles gais, saveurs joyeuses
giboyeuses, raffinements de bouches, vins sucrés,
épices et joies, festins, hennins aux rubans de soie !
De la jeune épousée, chacun retient la beauté
certaine grâce qu’elle a pour toute chose,
pour discourir et danser, et même manger –
sauf, et chacun a pu le remarquer, quand
elle écarte l’assiette et pâlit quand
on lui présente la viande d’un cerf
ou d’une biche, et même plus généralement
de toutes les bêtes à poils et griffes de la forêt…
Le trait amusa fort
le trait amusa si bien Mélion qu’il proclama
haut et fort qu’il était assuré que jamais
sa bienaimée ne le mangerait !

Mélion, désormais, connait la félicité.



Chant de la félicité

« Terre, rivière, château
cadeaux, cadeaux du roi, cadeaux d’Arthur
forêt autour, tout autour 
Mélion seigneur !
Un jour, un grand cerf
la meute acharnée
grand cerf aux abois
grand cerf relâché
une jeune fille apparaît
jeune fille vêtue de soie 
fille revêtue de soie rouge
ses épaules, sa chevelure, sa bouche
les yeux, vifs, clairs, rieurs
le manteau d'hermine
la soie rouge, finement lacée
princesse d'Irlande qui est-
elle
n'a jamais aimé
jamais aimé homme qui
est-elle
princesse venue d'Irlande
très belle, seule, séduisante
soie rouge finement lacée
sa voix si mélodieuse
chaudement c’est dit
n'a jamais aimé homme
à jamais n'aimera
que lui, que lui seul, charme
sa voix distinctement douce
chaudement c'est dit :
n'a jamais aimé homme
ni même évoqué le nom d’un homme !
Oh voeu enfin accompli
avec célérité mariage célébré
oh félicité, et fils
deux fils, trois années
félicité ! »


Trois années se sont écoulées
trois années de bonheur
complicité partagée, bonheur fécond
deux enfants naissent de ce mariage
deux fils, trois années, félicité !


.../...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire