vendredi 13 mars 2009

Mélion, chevalier-loup (III)

Le grand Cerf




Un matin.

Ce matin-là, Mélion prend son carquois
part chasser avec sa belle épouse qui
ne manque pas de l’accompagner chaque fois
bien que jamais ne mange de gras ou de gros
gibier.
Seul un écuyer les escorte.
Ils aperçoivent
un cerf au loin, une laie et ses marcassins
plus loin ils traversent une lande ;
Mélion s’écarte, pénètre dans les grands fourrés.
Oh surprise, instant rare, dans une clairière
un très grand cerf est dressé, debout, semble l’attendre.
Mélion retourne vers sa femme, lui raconte
là, l’étonnante rencontre, le fabuleux
animal, et lui propose en riant
de la présenter à ce seigneur des forêts !
Elle – a si fort pâli,
si faiblement balbutie : « Ah, Dieu !
Mélion, si je ne mange pas de ce grand Cerf,
de ma vie, je ne mangerai plus, plus jamais. »
Elle se pâme et tombe sans connaissance.
Mélion s’empresse de la relever, de la ranimer
de l’embrasser, de la réconforter – rien n’y fait
elle répète dans un souffle qu’elle mourra de faim
si Mélion ne lui ramène pas un morceau de la chair
du grand Cerf…
« Ma chère épouse, que me demandez-vous là
qu’a-t-elle de si exquis, ma mie, cette chair
si délectable, si inéluctable
qu’elle seule tout soudain fût la condition
de vous sustenter… Mon amie, je vous prie, dites !...
Qu’est-ce pour vous Madame ?
… Jeu, caprice, preuve d’amour ? »
« Il y va de ma vie, Monseigneur, croyez moi. »
Elle pleure
et suffoque encore s’évanouit.
« Ma bien aimée, ma douce
biche ! » Elle pâlit plus encore,
il embrasse ses mains.
« Ma tendre épouse, écoutez-moi, ne pleurez plus
je vais… Le voulez-vous vraiment ?
Combattre le grand Cerf…Je vais…
Le voulez-vous vraiment ? Ramener de sa chair…
Mais… Vous n’ignorez-pas – regardez-moi –
vous ne pouvez ignorer que le grand Cerf
est déjà fort loin, trop tard
pour retourner chercher la meute au château,
quelle chance ai-je de le retrouver ?
Madame ! Regardez-moi : ai-je, chevalier,
sans mon faucon et mes chiens, ai-je
la moindre chance de le flairer,
de le retrouver, de le combattre ?… »
Elle ne répond pas
et sanglote et gémit.
« Mon amie, ma Dame, écoutez-moi,
ne pleurez plus, prenez cette bague – elle vous a maintes fois intriguée !
Vous ne parveniez pas à la retirer de mon doigt,
prenez-la, attendez que je sois déshabillé ;
quand je serai nu, frottez ses pierres sur la peau
de ma poitrine, et derrière mon cou... Vous verrez mon corps
se transformer : je deviendrai loup, un loup
capable, peut-être, de vous ramener un morceau
de chair
du grand Cerf…»


Chant de la Métamorphose

« Devenir loup
pour vous Madame
devenir loup pour vous
ma Dame
loup deviendrai
pour vous ma femme
loup deviendrai
pour vous seule : loup
grand et fort
un fort grand loup
pour l'amour de vous 
deviendrai d'où reviendra
votre goût ancien
pour le grand cerf ?
Pour sa viande ?
Moi, un homme
deviendrai loup
à votre goût
me souvenir loup
chair de cerf, cher morciel
me dévie d'homme
deux corps, une seule âme
corps d'homme au vu de tous
corps de loup au vu de vous
c'est dit : je deviens loup
pour vous seule
lors deviens loup 
grand et corsu
lors deviens leu
grans et corsu
pour vous ! »


Mélion appelle son écuyer
et lui demande de lui retirer ses chausses ;
dans un fourré, il se déshabille entièrement, triste
s’adresse à son épouse :
« Attendez-moi ici, attendez-moi avec la bague
elle seule me permet de redevenir un homme
mon amie, demeurez ici
veillez tendrement sur mes vêtements et l’anneau
– le chevalier, l’époux, ne les oubliez pas
n’oubliez pas : ma vie est entre vos mains. »





Elle fait scrupuleusement comme il a dit,
elle frotte la bague
sur la poitrine et derrière le cou de Mélion.
Le dos du chevalier se courbe, Mélion parle
une dernière fois : « Loup deviens
pour vous ma Dame, loup serai bientôt
grans et corsu loup, et seul – seulement loup. »

Le langage lui faut, la bouche devient gueule,
Mélion se métamorphose, les poils surgissent
drus, touffes denses, la tête s’allonge, museau
dentu, baveux, les crocs, la corne des griffes
la queue longue et basse, l’épouse s’écarte.

Il est devenu un loup grand et fort.
Il tourne un instant la tête, sa gueule, vers la dame
ses yeux ambre, douloureux, brûlants
et bondit dans les fourrés et disparait.
La traque promet d’être longue.

La dame regarde le loup s’éloigner,
Mélion disparaître.
La forêt autour d’elle
bruit, frémit…
L’épouse est d’abord prostrée, tandis qu’autour d’elle,
la forêt bruit, frémit.
Épouse, elle pleure, ou bien elle écoute
la forêt...


.../...

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